D’ici 2030, le Canada comptera près d’un million de personnes atteintes de troubles neurocognitifs, un
chiffre qui pourrait grimper à 1,7 million d’ici 20501. Face à ce constat, une question s’impose : notre
système de santé pourra-t-il accompagner dignement les personnes aînées et leur offrir un soutien
adapté tout au long de leur vie?

Photo: Société Alzheimer de Montréal
Pour Thomas Tannou, gériatre à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal (IUGM), un changement d’approche s’impose. « Le système actuel est conçu pour soigner plutôt que prévenir. On intervient une fois la maladie bien installée, puis il manque cruellement de structures pour anticiper et éviter les complications », souligne-t-il. Une lacune qui complique les soins à offrir aux personnes ayant des troubles cognitifs et des enjeux de santé mentale.
Les conséquences de cette approche curative se répercutent sur les personnes et leurs proches. « Une de mes patientes vit avec sa fille qui est à bout de souffle. Tant qu’elle tient le coup, aucune aide ne lui sera offerte. Ce n’est que lorsque la situation dégénèrera, et que la patiente se retrouvera à l’urgence, qu’une place en CHSLD lui sera enfin accordée. Le système attend la crise pour agir », déplore le gériatre. Une logique qui met une pression immense sur les personnes proches aidantes, souvent laissées à elles-mêmes.
Détérioration silencieuse
Les troubles neurocognitifs évoluent en silence, jusqu’à ce qu’un point de bascule révèle leur gravité. « J’ai vu des patients risquer de perdre leur logement parce qu’ils ne parvenaient plus à gérer leurs finances. Certains peuvent finir en situation d’itinérance faute de soutien, et c’est seulement à ce moment-là qu’ils nous arrivent », alerte Thomas Tannou.
L’isolement social constitue un obstacle supplémentaire. Ce constat est encore plus préoccupant pour les personnes ayant des troubles de santé mentale sévères. « Que devient une personne qui, en vieillissant, doit composer à la fois avec des pertes neurocognitives et une maladie psychiatrique préexistante? », questionne Anne Bourbonnais, infirmière et chercheuse régulière au Centre de recherche de l’IUGM. Or, le système de santé peine à offrir des soins intégrés. « Soit on traite la clientèle psychiatrique, soit on traite la clientèle gériatrique. » Les personnes qui relèvent des deux se retrouvent souvent sans ressources adaptées », ajoute la chercheuse.

Mieux accompagner
Face à ces enjeux, la volonté de favoriser le maintien à domicile des personnes aînées ne suffit pas. « La maladie d’Alzheimer, ce n’est pas seulement des pertes de mémoire. Elle affecte aussi la prise de décision et la capacité d’adaptation », rappelle le médecin. Pourtant, on observe que le manque d’anticipation des difficultés engendre des relocalisations brutales, sources d’anxiété et de comportements troublants.
De son côté, Anne Bourbonnais, qui s’intéresse aux comportements vocaux – comme les cris – et aux agissements agressifs de personnes aînées, dénonce un « trou noir organisationnel ». « L’entre-deux entre la phase curative et la fin de vie est une zone d’ombre dans notre système. Plutôt que d’isoler ces patients dans des unités fermées, nous devrions favoriser une approche plus humaine et relationnelle. »
Prévoir les transitions de vie
Comment mieux accompagner ces personnes aînées? Pour Thomas Tannou, la clé réside dans l’anticipation. « Il faut réfléchir à la suite, prévenir les difficultés et agir avant la crise. » Anne Bourbonnais abonde dans le même sens : « Une détection précoce permettrait d’éviter les interventions en catastrophe et d’assurer un accompagnement plus adapté. »
Avec une population vieillissante et des troubles neurocognitifs en forte augmentation, une refonte des services gériatriques serait la bienvenue, selon les deux experts. « Pour l’instant, on préfère croire qu’on pourra choisir le moment de notre mort plutôt que d’affronter la réalité d’une dégradation, mentionne la chercheuse. Une réflexion collective s’impose pour accompagner ces transitions inévitables avec plus de dignité et d’humanité. »
- Société Alzheimer. (Consulté en mars 2025). « Les chiffres sur les troubles neurocognitifs au Canada.» ↩︎