De la connaissance au terrain : soigner en itinérance

Accéder aux soins de santé quand on est en situation d’itinérance est souvent un casse-tête. Stigmatisation, méconnaissance des réalités vécues et rigidité du système freinent l’accès aux services essentiels. Pour mieux répondre aux besoins de cette clientèle, l’Équipe de soutien clinique et organisationnel en dépendance et itinérance (ESCODI) du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal outille les professionnel.le.s et gestionnaires de l’ensemble du réseau de la santé et des services sociaux du Québec. Son objectif : briser les barrières, ajuster les pratiques et humaniser les soins destinés aux plus vulnérables.

Les personnes en situation d’itinérance vivent rarement avec un seul problème de santé. « Dans la grande majorité des cas, elles en cumulent plusieurs, avec diverses nuances. On observe fréquemment un trio difficile : itinérance, dépendance et troubles de santé mentale. Mais il y a une autre comorbidité dont on parle trop peu : les traumatismes vécus dans l’enfance », explique Marie-Ève Goyer, directrice scientifique de l’ESCODI et chercheuse à l’Institut universitaire sur les dépendances.

Marie-Ève Goyer

Devant ces cas complexes, les équipes ne se sentent pas toujours bien outillées pour intervenir. « Elles ont un grand besoin d’aide à la réflexion et à la décision », souligne-t-elle.

C’est là qu’entre en scène l’ESCODI. L’équipe produit et diffuse des guides de pratique ainsi que des outils fondés sur les récentes données issues de la recherche. De plus, elle offre un soutien collaboratif aux équipes et aux gestionnaires. Les activités et les discussions cliniques proposées par l’ESCODI, notamment lors de sa journée annuelle, deviennent de précieux lieux d’échanges. Pour les spécialistes, ce sont autant d’occasions de réfléchir aux interventions les mieux adaptées et à la façon de les transposer sur le terrain. Entendre l’expérience des autres leur permet de sortir de leur silo et d’enrichir leur approche.

Aux défis cliniques s’ajoutent bon nombre d’enjeux organisationnels qui compliquent l’accès aux services. « L’itinérance n’est pas une pathologie, mais une situation vécue. En plus de connaître des problèmes de santé, la personne qui est en situation d’itinérance compose avec plusieurs embûches. Si elle n’a pas de toit, pas de ressources, comment peut-elle arriver à prendre un rendez-vous ou encore à recevoir un suivi? », ajoute Karine Hudon, coordonnatrice de l’ESCODI. Les personnes en situation d’itinérance naviguent difficilement dans un système de santé rigide et peu adapté à leur réalité. Résultat : de nombreux soins nécessaires leur échappent. Pour rendre les pratiques plus inclusives, l’ESCODI apporte une vision élargie des enjeux qui touchent les personnes en situation précaire, tout en tenant compte de leur expérience et de leur savoir.

Mieux voir l’invisible

Comme médecin au service de toxicomanie et de médecine urbaine de l’Hôpital Notre-Dame, la Dre Goyer est bien placée pour observer l’approche réservée aux personnes vulnérables. Elle dresse un parallèle saisissant pour illustrer l’un de ses constats : « En gériatrie, on sait comment intervenir lorsqu’une personne aînée souffre de troubles cognitifs. Si elle laisse un rond de poêle allumé ou si son logement est insalubre, on va s’assurer de sa sécurité avant de la renvoyer chez elle. Mais face à une personne aînée en situation d’itinérance, on perd ses réflexes. On pourrait la laisser repartir vivre sous une tente en plein hiver, simplement parce que le système n’a rien prévu pour elle », déplore-t-elle.

« L’approche doit être ajustée, mais le réseau de la santé doit également être plus flexible dans sa façon de soigner et d’accueillir la population en situation d’itinérance », soutient-elle.

Pousser encore plus loin

Soucieuse d’élargir sa portée, l’ESCODI vise à se rapprocher des équipes de première ligne et des services psychiatriques en leur proposant des outils adaptés à leurs besoins.

Elle souhaite déployer les meilleures pratiques en itinérance et dépendance en tissant des liens durables entre les milieux de soins, car c’est en unissant les forces et en changeant sa lunette devant les plus vulnérables que le réseau de la santé pourra leur offrir de meilleurs soins.

LES DÉTAILS…

L’ESCODI a un mandat national découlant du ministère de la Santé et des Services sociaux.
Pour en savoir plus : dependanceitinerance.ca