Femmes et dépendances: faire tomber les préjugés

On estime que seulement 20 à 30 % de la clientèle des services spécialisés en dépendance est féminine1. Le profil des femmes qui consomment des substances psychoactives est peu étudié. Mais lorsqu’on s’y consacre, plusieurs enjeux liés aux normes sociales sont identifiés. Comment peut-on mieux comprendre la réalité des femmes aux prises avec une dépendance?

C’est l’objectif poursuivi par le projet Gender-ARP (addiction, rétablissement et précarité), qui s’inscrit dans la programmation de la Chaire de recherche sur le genre et l’intervention en dépendance (GID), dirigée par Karine Bertrand, directrice scientifique de l’Institut universitaire sur les dépendances (IUD) et professeure titulaire à l’Université de Sherbrooke. Il a été lancé pour documenter les réalités et les besoins propres aux femmes consommatrices de substances psychoactives. Il vise à élargir les connaissances et à dépasser les stéréotypes, en donnant la parole aux principales intéressées, tout en levant le voile sur différents aspects de l’expérience des femmes consommatrices, dont les normes sociales qui les touchent.

Mères consommatrices sous tension
Karine Bertrand

Lorsque la recherche s’attarde aux femmes consommatrices, ce sont souvent des enjeux stéréotypés qui retiennent l’attention, comme le travail du sexe et la maternité. Bien que ces expériences soient très différentes, elles suscitent tout autant un jugement moral. Dans le cas des mères, on soulignera à quel point leur dépendance est incompatible avec leur rôle.

De nombreuses tensions existent entre les responsabilités liées au rôle de mère et le besoin de se rétablir, mais aussi la nécessaire protection des enfants. « Le rôle de mère aura parfois un effet de levier pour les femmes, une motivation pour s’en sortir, mais il pourra aussi compliquer leur engagement dans une démarche de services et même les placer en échec. Par exemple, en cas de placement de leur enfant, cela entraînera une aggravation de leurs difficultés et du découragement », souligne Karine Bertrand.

Une mère consommatrice sera jugée, mais aussi critiquée, car soupçonnée de ne pas s’acquitter adéquatement de ses obligations parentales. Au-delà des jugements, celle qui veut suivre un traitement se verra confrontée à des barrières d’accès aux services, dont l’absence de services de garde ou la difficulté d’utiliser les transports publics à cause d’une précarité économique. La chercheure rappelle que, de manière générale, consommer fait souvent l’objet d’une désapprobation morale par la société, celle-ci étant encore plus accentuée à l’égard des femmes.

Consommer pour échapper à la pression sociale

Gender-ARP aborde la représentation des femmes à partir du récit de leurs expériences ainsi que de leurs parcours de vie, de consommation et d’utilisation des services. Il en ressort un aspect rarement soulevé, soit la prise de stimulants pour répondre à la pression sociale ressentie par les femmes. Aux prises avec l’obligation de remplir plusieurs rôles, de bien s’en acquitter et de performer, tout en répondant aux exigences liées à l’apparence, ces femmes consomment pour soigner leur détresse. Souvent, elles craignent de ne pas tenir le coup si elles arrêtent de consommer. Elles se retrouvent ainsi dans une spirale.

Services adaptés aux femmes

Karine Bertrand constate une invisibilisation des femmes dans les services liée notamment aux préjugés et aux barrières existantes. Plusieurs hésitent à aller chercher de l’aide du côté des ressources mixtes, principal type de service offert en dépendances, car elles s’y sentent moins en sécurité que dans une thérapie réservée aux femmes. L’équipe de Gender-ARP propose des pistes pour transformer les services afin qu’ils répondent aux situations et aux besoins des populations marginalisées, dont les femmes. Leur soutien mutuel, dans un cadre sécuritaire, semble une des voies à privilégier pour mieux les aider.

Souvent, les femmes mobilisent des capacités tout au long de leur vie, tant sur les plans individuel que social, afin de surmonter des épreuves et des traumatismes. La prise en compte de leurs forces dans l’intervention constitue aussi l’une des pistes identifiées pour mieux les accompagner et contribuer à réduire la stigmatisation qu’elles vivent.

LES DÉTAILS…

Pour en savoir plus : www.gender-arp.com

Bertrand, K., Missoum, A., Felipe, E., & Jauffret-Roustide, M. (2023). « Regards croisés sur les interventions auprès des femmes qui consomment des substances psychoactives ». Addiction(s): Recherche et pratique. Revue internationale. 8: 20-22.

À découvrir : Femmes en lumière : récits de vie et contributions sociales, une série présentée par l’Association des intervenants en dépendance du Québec, association partenaire de l’Institut universitaire sur les dépendances.

* Ce texte est écrit au féminin pour être en accord avec la thématique.


  1. Brochu, S., Landry, M., Bertrand, K. et al. 2014. À la croisée des chemins : trajectoires addictives
    et trajectoires de services. La perspective des personnes toxicomanes. Québec : Presses de
    l’Université Laval, Collection toxicomanies. ↩︎